Les chrétiens sont en pleine privation. Le pays étant majoritairement musulman, l’on n’oublie, avec tout ce qu’il se passe dans les têtes de s’arrêter pour penser au jeûne chrétien. Il est certain, que des questions par rapport au carême traversent parfois les esprits. Notre curiosité piquée au vif, l’on se demande comment vivent-ils cette période ? Pourquoi certains ne jeûnent pas pendant que d’autres le font. Comment rompent-ils le jeûne. Autant de question qui se pose parfois. La question est, comment-vivent-ils le carême ?
Il est 10h aux HLM Fass. Le populeux quartier est déjà animé. Ce sont les vendeurs qui servent de première impression, squattant le plus souvent les coins de rue.
Dans la rue jouxtant le marché Fass, habite la famille Ciss. A cette heure de la journée, les grands-parents servent de gardiens. Assis à la manière d’un roi et de sa reine, Toutou et Georges Paul, la soixantaine dépassée nous accueillent chaleureusement dans leur intérieur. Le carême, les grands-parents le vivent dans un profond recueillement. « J’observe le jeûne sur toute la période tant que je le peux encore, dit-Georges Paul. Vous savez dans la vie, il faudra un moment où il faut bien se poser. Lorsque l’on a vécu tant d’années, l’on est sûr que vivre le nombre d’années que l’on a déjà est impossible. Dans toutes les religions, le jeûne est un excellent moyen de se rapprocher de la divinité. Puisqu’il est improbable de vivre toute une vie sans offenser le créateur, l’on peut bien prendre un moment pour nous rattraper, » conclut-il avec un léger sourire.
En observant les personnes qui suivent ce précepte, l’on voit à quel point la privation fait de manière recommandée, est bénéfique. La sérénité est flagrante sur le visage du vieux Georges Paul.
C’est pour cela que le fait que certains, ne l’observent pas, paraît le plus curieux.
Dans le même quartier, à l’extrémité du prolongement de la rue, habite un accoutumé de ce fait qui nous apporte ses éclaircissements. Marc Angel vit avec ses parents à la retraite. Lui-même au chômage, il affirme sans crier gare, ne pas jeûner. « Non je n’ai pas jeûné une seule fois depuis le début du Carême, » répond-il à la question à savoir comment il le vivait. A cela, Marc Angel n’a aucune explication assez pertinente pouvant le justifier. « Je ne supporte pas la faim. Je ne jeûne pas c’est ma décision et je l’assume aujourd’hui, demain et pour toujours, » trouve-t-il à dire après hésitation.
Dans les propos du père du jeune homme de 26 ans, l’on sent une certaine indifférence vis-à-vis de l’attitude du fils. « Je ne le somme pas de pratiquer le jeûne. A son âge je ne le respectais pas non plus. Un seul de mes enfants l’observe comme il se doit. Il faut un certain mental pour pouvoir transcender son corps et supporter la faim et tout ce qui a attrait avec, » dit-il. « Moi, c’est à 50 ans que j’ai commencé à jeûner sur toute la période, » poursuit-il.
Tout comme certains musulmans éprouvent des difficultés à se conformer à la restriction principale du Ramadan, faisant abstraction de la restauration, il en va de même pour certains fidèles chrétiens. Cette attitude est plus courante chez les jeunes. Accoudée près de la porte de l’Eglise Saint-Joseph, marchandant un chapelet, Valérie nous confie qu’elle jeûne un jour sur deux. « Ce n’est pas donné, la privation sur quarante jours, » dit-elle tout juste.
C’est à ce niveau que la parole d’un prêtre se fait échos.
« Rien n’est facile dans ce bas-monde. Si l’on observe les choses jugées difficiles, le jeûne est à la dernière place du classement, » dit-Père Henri Andrade. « L’ascèse est une réalité qui nous fait peur. Et c’est très normal. Nous pratiquons le jeûne depuis des années. Pourtant, nous n’arrivons toujours pas à nous habituer à la privation. Même si, aujourd’hui, beaucoup de nos concitoyens vivent dans des conditions précaires et connaissent l’inquiétude du lendemain. Certes, l’Eglise nous rappelle certains actes pénitentiels significatifs : manger moins chaque vendredi ; jeûner (au moins pour un repas) le mercredi des Cendres et le Vendredi Saint ; maîtriser nos instincts.
Mais surtout, elle attire notre attention sur l’importance de notre style de vie. S’inspire-t-il du Christ et des encouragements de l’Eglise ou bien, sous prétexte de modernité, s’inspire-t-il des complicités subtiles avec la mode, les mondanités et le pêché ? Avec tous nos frères chrétiens, mais aussi avec tous ceux qui souffrent de la faim, d’un manque de liberté ou de dignité, avec tous ceux pour qui la vie quotidienne est une ascèse imposée, entrons dans ce jeûne du Carême comme dans le bain d’une nouvelle naissance », prêche-t-il.
A ceux qui ne jeûnent pas, Père Henri rappelle que la pénitence conduit à la réconciliation avec le Seigneur. « Ce temps du Carême ne sera véritablement conversion que si nous allons jusqu’à l’accueil du pardon du Seigneur dans le Sacrement de réconciliation. Ce sacrement reçu personnellement témoigne, pour la communauté chrétienne et pour tous les hommes marqués par l’échec et le péché, que le Dieu de Jésus-Christ ouvre largement son pardon à tout homme de bonne volonté, qu’il n’y a pas d’échec définitif et que Dieu est plus grand que notre cœur. »
Au fait, d’après Isabelle Marianne Sagna, 31 ans, il n’y a pas une façon universelle de rompre le jeûne. Chacun y va, selon ses envies.