Il semblerait que la décision de changer de teint de beaucoup de femmes ne viennent pas d’elles. Même si l’aspect physique en est la finalité, d’autres raisons bien cachées sont au cœur de leur pratique. Vingt-cinq ans plus tôt, Mame Coumba Bâ, était une femme dont la noirceur faisait pâtir d’envie beaucoup de ces pairs. Ces souvenirs sont loin derrière. « Je me souviens que, lorsque je passais devant des gens, ils me demandaient, me suppliant presque, dit-elle sourire au coin, de laisser ma peau intact. Pour dire vrai je ne pensais pas avoir un jour recours à la dépigmentation. C’est lorsque je me suis mariée que l’idée m’est venue. » Mame Coumba s’était liée à un polygame. « Mes coépouses avaient la peau claire, raconte-t-elle. Je nourrissais une certaine admiration envers elles. Voyant qu’elles pouvaient me damer le point auprès de notre époux, j’ai commencé à m’éclaircir la peau, pour leur montrer que je pouvais être belle en étant noire, comme claire. La différence était qu’elles, la clarté de leur peau était naturelle. » A 56ans, Sokhna Astou n’est même plus l’ombre de ce qu’elle était. Une photo de son mariage, accrochée au mûr du salon en témoigne. ‘Mère gaindé’, le surnom que lui a donné son petit-fils en dit long. Sa peau est tellement abîmée, que la décrire est quasi-impossible. « Mes coépouses sont restées belles et présentables. Si seulement je pouvais remonter le temps, » lance-t-elle l’air ailleurs. La polygamie est à l’origine de la dépigmentation de Sokhna Astou.
Le cas de Kiné Fatim résulte de l’imitation. « J’ai commencé à m’éclaircir la peau à l’époque où la dépigmentation s’est invitée dans la société, vers les 70. Je ressens une certaine honte à le reconnaître mais, je me dépigmentais la peau pour suivre la mouvance. C’étaient les femmes mariées qui, la plupart, la pratiquaient. Comme je ne voulais pas être en reste, je m’y suis mise, » dit-elle. Tout comme Sokhna Astou, la peau de Kiné Fatim, 67 ans en témoigne. « J’ai arrêté lorsque je suis revenue de la Mecque en 2015. Je sais que je ne ressemble à rien, je ne me regarde même pas dans le miroir, de peur de retomber dans ce vice. Car, c’est ce que cela a été pour moi, un vice. Les retombées négatives de la dépigmentation ne m’étaient pas inconnues. J’étais aide-soignante. » L’on aurait juré que la noirceur de son visage résulte de sérieuses brûlures.
Le cas de ces dames peut se comprendre, mais celui de Soda Marème pourrait abattre le moral des féministes. La décision de sa dépigmentation vient de son mari. La soumission de la jeune femme de 26 ans est allée jusqu’à l’encontre de sa santé. Oumar, le mari décideur de cette pratique affirme devant Soda qu’il a toujours voulu qu’elle ait une peau claire. « Je renouvelle ses produits éclaircissants tous les mois. Elle est mon épouse. Ce statut m’autorise à décider de sa façon de parler, de marcher, de se comporter. » Cette once d’arrogance qui perce dans ses propos n’empêche pas Soda d’esquiver un sourire qui, au fond, ne peut-être qu’une grimace. Devant son époux, elle fait mine d’acquiescer ses propos. En aparté, Soda confie n’avoir jamais pensé à se dépigmenter. « L’idée même de m’éclaircir la peau ne m’a jamais traversé l’esprit. Un soir, il est rentré avec un paquet entre les mains. Quelle n’a été ma surprise lorsque je l’ai ouvert. Une gamme de produits éclaircissants était le cadeau dont je m’attendais. Par respect pour son autorité, je l’ai accepté volontiers. Ce que je pense n’a aucune importance. » A la question de savoir si dans quelques années, elle répond, toute surprise, qu’il n’oserait pas. Rien n’est moins sûr.

