Reubeuss, rien que le nom provoque des grincements de dents. Les prisonniers, ou ex-prisonniers, tous entendent parler de leur vécue dedans et en-dehors de la prison. Ce n’est pas pour autant que la donne change pour eux, dans leur monde d’après la prison. Professionnellement, socialement, ce à quoi ils font face ne peut-être que deviner, s’il n’est pas raconter par eux.
A Cheikh Tidiane et Omar, la société leur colle le surnom d’ex-détenus. D’ailleurs, ils ont été témoins de la mutinerie de 2016.
Il est bon parfois de se rapprocher de ces personnes. Parler avec eux est, au-delà d’être un excellent moyen de cerner les travers de la société, une porte, pour cultiver l’empathie. Cheikh est un ex-détenu. C’est à Scat-Urbam qu’il nous reçoit, dans un joli salon modeste mais chaleureusement décoré, occupé à jouer avec sa fille de trois ans. L’on le sent heureux avec sa princesse.
Dans ce pays, pour ne pas s’attirer les regards et des remarques désobligeantes de la part de certaines personnes, mieux vaut taire son parcours derrière les barreaux si on en a. Car, il est monnaie-courante de voir un ex-détenu pointé du doigt. Ceci date de bien longtemps pour ne pas dire depuis toujours. La société ne voit pas d’un bon œil une personne avec des antécédents judiciaires. Ceci est un fait. Partout au Sénégal, que ce soit dans le milieu professionnel ou dans l’espace intime, un ex-détenu perd sa crédibilité, son respect, sa place.
Ces désagréments, d’après Cheikh, les ex-prisonniers les vivent dès qu’ils mettent leur nez dehors. Ils se sentent rejetés, stigmatisés par des gens qui auraient dû leur apporter soutien et réconfort moral, dit-il l’air désolé. « Mais c’est cela en fait mon combat », tonne-t-il. Le défenseur de la cause des ex-détenus travaillait dans une banque. A peine deux ans auparavant, il avait une vie. Il nourrissait des espoirs pour sa carrière professionnelle. Il pensait avoir famille et amis. Jusqu’au jour d’un fameux mercredi, où la police a débarqué chez lui. « ‘Détournement de fonds’, dit-il, c’était ça le motif de mon incarcération. C’est du passé mais, il me hante toujours. Professionnellement rien ne va. J’ai essayé de déposer dans des banques car c’est tout ce que je sais faire. Je me permets d’espérer jusqu’à ce qu’ils découvrent mon passage en prison. Il me faudra un miracle pour redevenir le banquier haut-placé que j’ai été et un autre pour récupérer tout ce que j’ai perdu, » confesse-t-il.
Socialement, Cheikh Tidiane ne s’en fait pas. Sa carrière professionnelle est d’après lui plus important puisqu’il a femme et fille à mettre à l’abri du besoin. Qu’il ait trouvé son épouse en sortant de prison a étouffé la souffrance d’avoir perdu sa famille. « Tantes, cousins, oncles et amis m’ont tourné le dos lorsque j’étais dans le noir. C’est à ma sortie qu’ils sont venus vers moi. Dans la rue, poursuit-il en haussant les épaules, je marche la tête haute. Si l’on me redonne une place dans cette société, si l’on me donne le respect que je mérite en tant qu’être humain, tant mieux. Sinon, je le leur arrache des mains, » articule-t-il, l’expression sévère.
La manière et le gestuel avec lequel il l’explique traduit en effet une profonde amertume. Le fait que les ex-prisonniers ne se sentent pas à l’aise en ressortant, le complexe qui les habite tout à coup, la souffrance qu’ils vivent intérieurement car, touchés dans leur amour-propre, dans leur dignité humaine, dans leur conscience, suffisent largement comme punition. Alors supporter, les dénigrements, le regard des autres, les tuent à petit feu. Ils en sont foudroyés.
Cheikh confesse qu’il en connaît des détenus, qui, en proie à mille questions relatives à leur vie, et à ce qu’ils trouveront au sortir de prison ne veulent même pas mettre le nez dehors. Ce qui veut dire qu’ils sont psychologiquement atteints, traumatisés. A la différence de Cheikh qui dissimule tant bien que mal son affliction en recourant au sport.
Mamour Adama brûle cigarette sur cigarette, une tasse de café touba à ses côtés. « Vous en voulez, nous-propose-t-il en portant la tasse, » un léger rictus dévoilant des dents noircis. L’ex-camarade de cellule de Cheikh, assis devant sa porte a une grande peine à s’exprimer. Il commence, mais peine toujours à terminer ses phrases. Habillé d’une djellaba blanc léger, sous ce froid, le jeune homme de 31 ans se met dans tous ses états en parlant de sa vie après ce qu’il qualifie de ‘pire que l’enfer de l’au-delà’. « Vous ne devinez pas la joie qui m’a habité lorsqu’a sonné mon heure de sortie, explique-t-il. Je me disais que j’allais reprendre ma vie à zéro, aux côtés de mon épouse, et de nos enfants, après avoir passé quatre années en prison. Mais quelle ne fut ma surprise lorsque je suis rentré chez moi, trouvant la maison vide de ses occupants. J’avais voulu faire la surprise à ma femme, mais arrivé sur ces lieux, je me suis rendu compte que c’était à moi qu’on avait fait une surprise. On aurait dit une blague. Elle m’a quitté sans même prendre la peine de m’avertir et de plus en emmenant nos deux enfants avec elle. Je ne saurai expliquer ce que j’ai ressentis sur le moment. »
Au sortir de la prison, la plupart des gens ne font plus d’efforts pour être d’une grande sociabilité. Dans leurs têtes, tels des schizophrènes, ils pensent à mal, dès qu’une personne les approche. C’est le cas de Mamour Adama qui dit n’avoir affaire à personne. « Les gens me fuient, la société ne veut plus de moi, je suis dans mon coin, je ne dérangerai personne » dit-il, portant la cigarette sur ses lèvres. »
Impossible de décrire l’expression sur son visage car, c’est à ses mots qu’il a écourté la conversation, tournant le dos alors même que nous notions ses dires.
A la différence de Cheikh Tidiane, Mamour Adama ne se démène pas pour essayer de s’occuper. Ses journées, il les passe à vadrouiller un peu partout dans les rues de Fann, cigarette et tasse de café en main.
Quand on y pense, cette situation fait marrer un peu quand même.
« Pays de la Téranga » n’est-ce pas ce que l’on dit de nous. Eh bien, ces ex-prisonniers se disent sidérés lorsqu’ils entendent les étrangers faire les louanges de notre chère nation « Téranga ». Ils disent douter fort que cette attitude qu’ils adoptent face aux ex-pensionnaires des pénitenciers soit un acte qui renvoie à ce sobriquet que l’on colle à ce pays.

