Est-ce pur hasard, si la journée mondiale dédiée à la femme est célébrée à un jour de l’anniversaire de l’héroïque mort des femmes de Nder ?
7 mars 1820 – 7 mars 2018. Et oui, aujourd’hui, jour pour jour que nos célèbres et admirées femmes de Nder ont péri dans les flammes. Une occasion de se remémorer leur sacrifice suprême rendant ce jour, inoubliable.
C’était un mardi du XIXème siècle, un jour impactant génération après génération.
A cette époque, le Walo constituait une province prospère située à l’embouchure du fleuve Sénégal. Ses habitants, de paisibles cultivateurs, vivaient du commerce. Le fleuve séparait le Walo de la Mauritanie où était notamment établie la tribu des Trarzas. D’eux, l’on ne savait jamais à l’avance s’ils débarqueraient en clients pour échanger des marchandises ou en ennemis pour se ravitailler en captifs. Toujours est-il que depuis l’installation des troupes françaises à Saint-Louis, les Maures ne cessaient d’accentuer leur pression contre le Walo, qu’ils voulaient faire passer sous leur contrôle, afin d’empêcher la région de tomber sous domination européenne.
Ce mardi d’entre tous les mardis, le roi « Brack » se faisait soigner à Saint-Louis, accompagné des principaux dignitaires du Royaume. Les hommes restés au village, sont allés à l’assaut des travaux champêtres. En l’absence du sexe dit fort, les maures du Nord, fils de l’au-delà du fleuve, dans un élan d’une lâcheté inouïe, ont envahi les femmes du Walo, solitaires, dans le but de les soumettre à l’esclavage.
Elles décidèrent aussitôt d’organiser la résistance avec les quelques soldats demeurés sur place. Tout d’abord, elles expédièrent les enfants, dont les princesses Ndatté Yalla et Ndieumbeut Mbodj, dans les champs avoisinants sous la conduite des plus grands. Puis, elles se précipitèrent dans leurs cases pour en ressortir vêtues de boubous et de pantalons bouffants, qui d’un époux, qui d’un père, qui d’un frère ; les cheveux dissimulés sous des bonnets d’homme. Elles s’étaient munies de tout ce qui pouvait leur servir à se défendre : coupe-coupe, lances, gourdins et même quelques armes à feu qu’elles allaient manier pour la première fois.
Amazones d’un jour, amazones pour toujours. Ces femmes se battirent avec l’énergie du désespoir, animées de leur seul courage, dans un terrible corps-à-corps avec l’ennemi.

Surpris par la forte riposte des femmes déguisées en hommes, les assaillants se replièrent. Les femmes crièrent victoire trop tôt. En ôtant leurs turbans, elles dévoilèrent alors leur féminité, provoquant ainsi, un sursaut d’orgueil mâle chez les assaillants.
Les femmes du Walo se sentirent perdus … Jamais elles ne pourraient résister à une évidente seconde attaque. Tous les hommes avaient péri et le messager dépêché à la recherche de secours arriverait sûrement trop tard. Tout espoir était vain.
Une voix s’éleva soudain par-dessus la clameur des lamentations et des hurlements de douleur. C’était Mbarka Dia, la confidente de la linguère (reine) Faty Yamar Mbodj. Prenant appui contre l’arbre à palabres, elle se mit à exhorter ses compagnes :
« Femmes de Nder! Dignes filles du Walo! Redressez-vous! Attachez vos pagnes et renouez vos foulards! Préparons-nous à mourir ! Femmes de Nder, faudra-t-il que nous courbions toujours l’échine devant les envahisseurs? Nos hommes sont loin, ils n’entendent pas nos cris. Nos enfants se sont enfuis derrière les hautes tiges de mil. Allah le Tout-Puissant saura les protéger. Mais nous, pauvres femmes que pouvons-nous contre les ennemis qui ne tarderont pas à reprendre l’attaque? Où pourrions-nous nous cacher sans qu’ils ne nous découvrent? Nous serions capturées comme l’ont été nos mères et nos grands-mères, qui nous ont été arrachées avant d’avoir pu nous voir grandir. Nous serons emmenées de l’autre côté du fleuve et vendues comme esclaves. Est-ce là un sort qui nous honore ? »
Les pleures s’arrêtèrent. Les plaintes se firent plus sourdes …
« Répondez! Mais répondez donc au lieu de rester là, prostrées et gémissantes! Qu’avez-vous dans les veines ? Du Sang ou l’eau du marigot ? Et que dira-t-on plus tard à nos petits- enfants et à leurs descendances ? Préférez-vous qu’on leur dise : vos grands-mères ont quitté le village comme captives? Ou bien : vos aïeules ont été braves jusqu’à la mort ! »
« Oui mes sœurs. Nous devons mourir en femmes libres et non vivre en esclaves. Que celles qui sont de mon avis me suivent dans la grande case du « Brack » où se tient le conseil des sages. Nous y entrerons toutes et nous y mettrons le feu…C’est la fumée de nos cendres qui accueillera nos ennemis. Debout mes sœurs! Puisqu’il n’y a d’autre issue que la mort, nous mourrons en dignes femmes du Walo. »
Puis, accompagnée de leur reine, elles s’entassèrent dans la vaste case. Mbarka Dia ferma la porte et enflamma une torche qu’elle lança sans trembler contre un des murs de branches. Un immense brasier jaillit aussitôt. A l’intérieur de la case, les femmes enlacées, serrées les unes contre les autres, entonnèrent des berceuses et de vielles chansons qui avaient accompagné leurs activités quotidiennes.

Brusquement, un grand bruit domina le crépitement des flammes. C’était la charpente du toit qui s’affaissait sur les corps calcinés. Et ce fut à nouveau le silence…Un terrible silence qui accueillit les hommes bouleversés, accourus, hélas trop tard, au secours du village.
Mais nous ne manquons pas de références, nous-disons-nous certainement lorsque l’on entend parler de cette épisode marquante de notre histoire.
L’honneur n’abdique pas. Ces linguères du peuple, les femmes de Nder, sur les rives du fleuve Sénégal l’ont prouvé. Et de quelle manière !
Femmes exceptionnelles, femmes puissantes, femmes courage, femmes d’impact, confirmant la pensée de Louis Aragon selon laquelle « La femme est l’avenir de l’homme, de la société. » Encore illustrée par une Linguère née, Ndatté Yalla, qui fut femme, chef d’Etat, chef de guerre, et surtout traceur de destin dans le cadre d’une démocratie consciente et volontairement progressiste.
Qui n’en est pas fière…


