Elles ne viennent plus nous chercher, c’est nous qui allons les prendre. Plus besoin de toquer aux portes, d’ailleurs, dans certaines parties de la ville, leurs incessants va-et-vient y sont méconnus. Normal que l’on se demande où les trouver maintenant. La tendance avec les femmes de ménage communément appelées « mbidaan » en wolof, c’est le courtage. Excès de facilité, laxisme, ces deux mots pourraient limite expliquer le choix de certaines maîtresses de maison. La question qui glisse furtivement dans les esprits est le pourquoi. Pourquoi beaucoup d’entre elles préfèrent les femmes de ménage recrutées par courtage, aux agences mandataires de service à domicile ?
Il est 10h moins 10. Elles sont déjà là. Assises sous un baobab, à même le sol, formant un bloc, faisant face à une dame, elles semblent faire partie du décor des lieux. Leur voix ne s’élève pas, elles parlent, l’on entend des chuchotements. A peu près une heure passée avec elles, aucun sourire n’a égayé leurs visages de femme. Aucun rire ne s’est glissé de leurs cordes vocales, pour briser la glace.
Les raisons de ma venue mises à nues, c’est le mutisme total. Il nous a fallu faire appel à « mère patience », pour pouvoir leur tirer les vers du nez. Elles sont nombreuses, jeunes, pour la plupart. Les expériences qu’elles ont vécues dans les maisons où elles ont servies, les soucis qu’elles ont eus dans leur foyer, là-bas, au village, les longues journées qu’elles ont passées à arpenter les rues à la recherche d’emploi en vain, les ont portées sous ce baobab. Leur vœux, que le destin mène une femme jusqu’à elles afin qu’elles puissent trouver du travail. Tels des disciples avec leur marabout, elles font face à Mariama (nom d’emprunt). Elle, c’est le nœud de l’affaire. Une sexagénaire, habillé d’une robe flottante, la tête à moitié recouverte d’un foulard, est assise comme pour marquer son terroir, un agenda en main.
« Je suis une ancienne femme de ménage, raconte Mariama. Avec l’âge, les problèmes de santé ont surgit. Je me suis tournée vers le métier de lavandière. Deux années plus tard, j’ai arrêté car, cela devenait de plus en plus difficile pour moi. Avec ma forte corpulence d’antan, je ne supportais plus les corvées. J’ai pensé à servir d’intermédiaire à des femmes désireuses d’exercer ce métier. » A la question de savoir d’où lui est venue cette idée, elle bafouille un peu. « Dans la famille où j’ai pris ma retraite de lavandière, un ami au fils de ma patronne faisait ce métier mais, à l’insu de ses parents. Pour lui c’était juste un passe-temps, histoire de se faire un peu d’argent pendant les vacances, rien de bien sérieux. C’est de cette manière-là que j’ai eu vent de cette activité et j’ai décidé d’en faire mon gagne-pain, » raconte-t-elle à demi-mots.
Au début, elle trouvait des femmes, voulant faire ce métier, et leur chantait qu’elle pouvait leur trouver du travail, si elles lui faisaient confiance. Mais, aujourd’hui qu’elle a acquis une certaine notoriété dans son milieu, c’est tout naturellement que les travailleuses domestiques viennent à elle. « Vous savez au village, tout le monde se connaît, confie-t-elle tout bas. L’on sait qui est qui et qui est l’enfant de qui. Lorsque je tombe sur une jeune femme de mon village, je suis rassurée car, je n’ai pas trop de travail avec elle. Nul besoin de parler durant des heures pour gagner sa confiance afin de la faire adhérer au groupe. Je suis la tante de tous là-bas. Et si, c’est la première fois qu’elle foule la capitale pour venir travailler, poursuit-elle, là c’est la poule aux œufs d’or, dit-elle les yeux pleins de malice. Elles sont inexpérimentées, donc dociles, plus facile à parler, pour ne pas dire ‘’amadouer’’. Elles sont jeunes, la plupart ont moins de 18 ans. Elles viennent avec des idées plein la tête, mais lorsqu’elles entrent dans le milieu et se rendent compte des réalités, leur tempérament refroidit. Certaines ont de la gratitude envers moi, d’autres par contre, après quelques temps de collaboration, s’en vont faire leur petit bonhomme de chemin. »
Le recrutement se passe comme suit
La personne désireuse d’avoir une femme pour l’assister dans ses corvées ménagères s’entretient avec Mariama d’abord. Celle-ci lui explique le procédé. « Je te trouve une ménagère, tu me donnes 5000 frs, comme garantie, dit-elle, en prenant un air sérieux. C’est la garantie que la jeune femme reste chez toi. Tu veux une ménagère qui passe la nuit ou qui rentre après son travail ? » Pose-t-elle à une dame d’une quarantaine, Tacko, venue pour en chercher. Apparemment, c’est la seule chose qu’elle demande. Toutes les questions qui suivent, sont posées par celle qui recrute. Hormis les sous qu’elle empoche, aucune garantie fiable ne régit ce qu’elle fait. En cas de problème, la patronne renvoie simplement son employée et revient voir Mariama. Elle lui déniche une autre, qui pourra satisfaire le recruteur. La question du salaire, est directement traitée avec la concernée, même si Mariama le demande après. Celle que Tacko, dont le parfum émanant de son boubou parsemé de motifs dorés, donne un peu de vie aux lieux choisi en premier, a quitté son emploi la semaine dernière. Pour cause, sa patronne, une commerçante, n’aurait plus confiance en elle depuis que des tissus d’une grande valeur auraient disparus. Tacko s’entretient avec elle pendant une dizaine de minutes avant d’en choisir une autre. « Je me suis assignée le devoir de connaître un pan de la vie de la personne avant de l’emmener chez moi, rien n’est moins sûr, » dit-elle perplexe en appelant une autre.
Celle qu’elle appelle se nomme Alima. L’adolescente s’est prêtée volontiers à un échange. Drapée d’un pagne bleu clair, la tête attachée par un foulard noir, la jeune fille a une personnalité qui suscite intrigue, curiosité. L’on voudrait en savoir davantage sur elle, mais Tacko, n’ayant pas tardé à faire son choix, l’a fait prestement monter sur le siège avant de sa voiture. Tout ce qu’elle a pu bredouiller, dans un wolof tâché de sérère, c’est qu’elle a 16 ans révolus, qu’elle est de Ndiongolor Sassème, un village situé à Fatick, que c’est sa première fois à Dakar, et qu’elle est venue pour un but précis, réussir sa vie.
Recrutement par courtage vs agences.
Lorsque cette façon de faire engendre le doute, cela peut être compréhensible. Déjà, si l’on compare ce courtage de femmes de ménage aux agences mandataires de service à domicile, il n’y a pas photo. Les agences demandent certaines formalités, certains papiers aux femmes de ménage afin de s’en assurer. Ils ont en leur possession la photocopie de leur carte d’identité, de leur casier judiciaire, leur adresse… En cas de force majeure, les recruteurs sauront où se plaindre. Alors qu’avec ce mode de recrutement apparemment assez répandue aujourd’hui, les problèmes susceptibles de surgir avec la ménagère n’engagent en aucun cas l’entremetteur.
Et au fait, Mariama ne connaît pas les travaux mensuels. Si vous tombez d’accord, la femme de ménage travaille à durée indéterminée, sauf en cas de brouilles.

