Dans un espace aéré à la cité des eaux, un groupe de cinq hommes fait face à une théière dans un parking aménagé pour les employés des sociétés environnantes. Si la majeure partie du groupe se laisse aller dans les sujets d’actualités et autres potins, il y a cependant un, qui est au fourneau. Il est chargé de la cuisson et du partage du thé. A notre arrivée les débats et les railleries cessent.
Les ‘’salam malekoum’’ finis, une tasse de thé nous ai offerte, n’est-ce pas là, la teranga sénégalaise ? Ou bien est-ce la galanterie ? Nous esquivons l’offre d’un sourire, car entre le soleil qui s’annonce et le marathon que nous avons engagé, une boisson chaude ne serait pas de bonne compagnie. D’un geste de la main, on nous invite à prendre place, chose que nous acceptons volontiers !
Après des minutes passées à expliquer l’objet de notre présence, certains semblent être embarrassés, d’autres les mains entre leurs jambes s’étirent, comme pour dire ’’pourquoi soulever un sujet aussi sensible de bonne heure ?’’. Du coup, les hommes mariés dans le groupe sont pointés du doigt. Il y en a deux. Sans se faire prier Mamadou Sow marié depuis 3 ans lance « ma chemise c’est madame qui l’a choisie pour moi ». Une réponse qui entraîne des rires et des applaudissements de ses amis. A la question de savoir comment s’est-il pris pour aborder pour la première fois celle qui est devenue sa femme, il répond « On était dans le même quartier. Lors d’un match de football je l’ai appelée sur le côté, on a parlé quelques minutes puis je lui ai demandé son numéro. Et la deuxième fois qu’on s’est parlé j’étais allé chez elle ». A déclaré cet homme qui porte une chemise cintrée de manches longues, couleur bleue océan.
Contrairement à Mamadou, son ami Abdoulaye Bodian a été ‘’alerté’’ par le comportement de sa femme. Selon lui, dans la façon de s’habiller et de se comporter, une fille lance des signes. Ce sont ces deux choses qui l’ont fait comprendre les messages que sa femme émettait à son égard. « J’allais chez son oncle pour discuter avec ce dernier car c’était un grand frère. Et, elle (Sa femme) me regardait, souvent, elle me proposait de l’eau à boire, elle faisait plusieurs tours. Mais j’ai mis du temps avant de comprendre ce qui se passait. Un jour je lui ai demandé son numéro, elle s’est exécutée. Des mois après nous étions mariés ». Nous a confié Abdoulaye qui a souhaité nous parler loin des oreilles de ses amis.
Rond-point Castors, 9h15. Alors que les gens se pressent pour se rendre à leur lieu de travail, des cars rapides et Ndiaga Ndiaye sont stationnés pour faire le plein de clients. D’une voix qui porte, les apprentis appellent les clients ‘’sité, sité gnou-dem hein’’ ?! (Ndlr : Université on y va). Dans l’un des cars rapides une voix s’élève : apprenti, gnou dem way (ndlr : apprenti : on y va way!), et comme dans un élan de solidarité d’autres voyageurs du car reprennent en chœur « mais apprenti, gnou dem way ! C’est pas sérieux ça! ».
Des artistes dans la chambre
A quelques mètres de là, Ababacar Sène est assis sur un tabouret. La cinquantaine révolue, l’homme a les yeux plongés dans un journal. Il est absorbé par la lecture. Le chauffeur d’une entreprise est marié depuis 1995. Il a d’abord été comme un grand frère, avant de devenir le mari de sa femme. C’est cette dernière qui a fait le premier pas. « J’avais des copines par ci par là, et un jour, celle que je considérais comme ma petite sœur m’a dit (je ressens plus que de l’amitié pour toi, si je pouvais, tu serais mon mari). Par la suite notre relation a évolué dans le sens du mariage ». Interrogé sur son côté séducteur, l’homme assume sans cligner les yeux « Dans les tâches ménagères, je ne suis pas présent, par contre, dans notre chambre, il m’arrive de préparer le lit pour nos moments intimes. Et parfois je chante aussi pour lui faire plaisir ».
Non loin de la Sénégalaise des eaux (SDE), Alioune Thioune âgé de 57 ans, est commis dans une société. Lui, sa technique de drague c’est le regard insistant dans les yeux. C’est à l’âge de 15 ans qu’il a fait la connaissance de celle qui est devenue sa femme, elle en avait 14. Ce n’est qu’au bout de 2 ans qu’il a commencé à lancer les regards insistants, à la fille quand il avait l’opportunité de la croiser. Et lorsqu’on lui demande comment a-t-il su que la fille était d’accord ? Il répond « elle me lançait aussi des regards, et s’arrangeait pour que je m’en rende compte, puis elle baissait ses yeux, et là, j’ai su qu’elle avait mordu », fait-il savoir, avant de préciser qu’à leur époque l’étape du mariage n’était pas à négliger comme aujourd’hui où les gens se marient et divorcent comme si de rien n’était.
S’agissant de sa technique de « jongué » (séducteur), Alioune déclare « la majeur partie des tâches ménagères c’est moi qui les fait. Dans la chambre, quand je sais que je me suis mal comporté, je m’excuse à l’avance, je n’attends pas qu’elle soulève la question. Il m’arrive de chanter pour elle ‘’Beuguel’’ de Youssou Ndour ».
Chanter, Lam Fadel aussi sait le faire, et il le fait pour sa copine avec qui, il est en relation depuis plus de deux ans. D’ailleurs, sa chanson préférée c’est ‘’Chéri boy’’ toujours de Youssou Ndour. Et sa technique de séduction est directe. « Je ne suis pas un garçon timide, loin de là. Lorsqu’une fille me plaît, je vais vers elle pour entamer la discussion. Je lui dis (ça va toi ? Tu es belle hein ! J’aimerais faire ta connaissance). Et le reste suit naturellement », a laissé entendre le jeune homme au gabarit d’un lutteur.
Pour Omar Diop dont l’âge n’est pas loin de la trentaine, la séduction est plutôt culturelle. « Les hommes sénégalais n’ont pas la culture de la drague. Ils préfèrent passer par l’intermédiaire d’un ami ou d’un cousin pour courtiser une fille. Et souvent c’est lors des cérémonies telles que les mariages ou baptêmes que ces démarches sont mises au point », a déclaré le jeune homme marié depuis plus de cinq ans grâce à l’entremetteur de son cousin.
Des romantiques-menteurs
Fadel Lam fait partie certainement de ces hommes que Anna Tendeng qualifie « d’indiscrets ». En effet, d’après elle, les hommes sénégalais ne sont pas discrets. « Ils sont romantiques certes, mais ils n’ont pas leur langue dans la poche. Il peut arriver qu’un homme t’aborde, vous parlez de tout et de rien, il arrive même que vous alliez plus dans votre relation et demain le jeune homme va par la suite se confier à ses amis, ce n’est pas normal ça ! », a confié la jeune femme mariée qui suit une formation en médecine.
« Ce sont des menteurs » tance Mamy Samb, une jeune célibataire vendeuse de thiouraye (encens). Elle avait un copain avant de découvrir qui, il était en réalité. « Ils sont gentils, galants et tout. Mon ex me donnait de l’argent mais au final, ce sont tous des menteurs ».
Un argument que Fadel Lam, réfute totalement. Pour lui, les menteurs sont partout. « Les menteurs on les retrouve un peu partout dans le monde. Tout dépend des intentions de chacun. Personnellement, je n’aime pas mentir, donc je ne mens pas aux filles de peur qu’elles me mentent en retour ». a-t-il laissé entendre.
Qu’ils se servent des intermédiaires, de phrases toutes faites ou qu’ils soient directs face à une fille, les hommes sénégalais sont loin d’être passifs dans leur quête de l’amour et surtout, ils détiennent pour la plupart un côté « jongué » (séducteur) qu’ils savent faire valoir et ce, à l’abri des regards inquisiteurs au grand bonheur de la dulcinée.

