Ils ne se font pas rares pendant ce mois de Ramadan. On les voit à chaque coin de rue, au niveau des feux, assis ou allant de voiture en voiture, quémandant l’aumône. Mais ce n’est pas là, la surprise. La stupéfaction se trouve dans le fait de voir beaucoup plus de gens, sans handicap apparent, bien portant, s’adonner à la manche.
C’est du fait intriguant, pour beaucoup, ce qui se passe pendant le Ramadan au Sénégal. Pour beaucoup, voir des gens faire de la mendicité un tremplin, ou un métier saisonnier sort de l’entendement. Et pour cause, ces personnes qui revêtent l’habit du nécessiteux avancent comme prétexte, la cherté de la vie.
C’est par une journée ensoleillée que nous les rencontrons. Au centre-ville de Dakar où ils sont le plus concentrés, il devient impossible de ne pas tomber sur eux. On les aperçoit au loin. Parfois en famille, en groupe, ou seul, ils sont là, attendant qu’une pièce leur tombe entre les mains. Toutefois, parmi ces mendiants, se trouvent des « usurpateurs d’identité ». Sous leur voile de mendiant, se cache un individu bien portant, apte à gagner sa vie à la sueur de son front.
Moustapha, un mendiant d’une trentaine, une béquille en main atteste de ce constat : « Vous savez, dit-il en secouant la tête, c’est un phénomène qui revient à chaque période du mois de Ramadan. Nous nous connaissons dans notre milieu. Nous savons qui est qui et qui fait quoi. Personnellement, je ne leur jette pas la pierre car, j’en ai discuté avec quelques-uns, et je comprends leurs raisons. La vie est chère. Les temps sont durs. Et comme pendant ce mois, les gens pensent plus aux nécessiteux, l’aumône ne se fait pas désirer. Cela, ils l’ont compris et ils en profitent. » A la question à savoir si ces mendiants saisonniers ne leur font pas une entorse, il rétorque que si mais, chacun à sa chance.
A quelques lieux de Moustapha, une dame d’une soixantaine, est assise sur une natte entourée de ses petits-enfants, près d’un feu de stationnement. Selon Yaye Fatou, ce comportement est indigne d’une personne, surtout que certains d’entre eux leur font parfois du tort : « La vérité c’est que ces gens font une course à l’aumône avec nous les handicapés. Nous, qui sommes le plus habilité à tendre la main, parce que notre handicap ne nous permet pas de travailler. Pas plus tard qu’hier, l’un d’eux a pris une aumône qui me revenait. Dès qu’il a aperçu un homme venir à ma rencontre, il l’a intercepté et a récupéré l’aumône à ma place, alors qu’ils sont encore jeunes, forts et en bonne santé. C’est une honte », peste-t-elle l’air remonté.
Pour justifier leur comportement, ils axent leurs arguments sur la cherté de la subsistance et le manque d’emploi. A préciser que seul un d’entre eux a accepté de se prononcer là-dessus. Il s’agit d’Ahmet Ndiaye, la quarantaine. Ce marié et père de cinq enfants en train de formuler des prières à l’endroit d’un bienfaiteur, affirme : « Il vaut mieux faire la manche pour subvenir à ses besoins, que de recourir à d’autres moyens pas trop catholiques. Ma présence ici est nécessaire. J’ai une famille à nourrir et je suis sans emploi. Il est vrai que ma présence n’est pas fortuite. Si nous n’étions pas au mois de Ramadan, j’aurai trouvé autre chose. Nous savons que le sénégalais ne s’acquitte véritablement de ce pilier que durant ce mois. C’est une des raisons. Et puis, je ne vois pas le problème. Nous ne faisons du mal à personne. Tendre la main est mieux que dérober ce qui ne nous appartient pas, ou pire, agresser, ou encore faire des deals. L’argent de l’aumône est reconnu dans la religion. Je n’ai aucun problème de conscience. Peut-être que ceux qui trompent les gens en faisant semblant d’être aveugle, sourd ou muet pourraient en avoir. Mais, pas moi, car je ne me cache pas. La preuve j’ai accepté de me prêter à vos interrogations à nu », dit-il le un sourire plein de malice au coin.