A quelques jours de la célébration de la Tabaski, tous les yeux sont rivés sur les jeunes femmes.
Les gens peuvent être si identiques et en même temps tellement différents, différents dans leur perception de la vie. Ce qui est important pour une personne ne l’est pas forcément pour une autre. Prêter leur une oreille attentive, à ces jeunes femmes, dans les écoles, dans les universités, ou même dans les transports en commun, lorsqu’elles sont en groupe et vous verrez la différence accrue dans leur façon de penser. La Tabaski, la hantise de la plupart des gens approche à une vitesse déraisonnable. Elles ne se comptent pas à la loupe celles qui n’en dorment plus. Tellement de soucis qui meublent leurs pensées. Leur réputation de femmes coquettes et leur souci de se faire remarquer un peu trop poussé les emmènent parfois à s’encombrer de choses superficielles, pouvant pourtant être esquivées.
Poser leur la question, sur l’importance qu’a la Tabaski à leurs yeux, la surprise vous prendra à la gorge. Assise sur le rebord de l’arrêt bus size à la Gueule-Tapée, Assiétou paraît, de loin, à demi-endormie. « Je réfléchissais, » dit-elle, esquivant un sourire timide. De femme à femme, le sujet Tabaski s’est naturellement incrusté dans la discussion. « Devinez, nous-lance-t-elle. Je réfléchissais à ma tenue et, hésite-t-elle un instant, à tout ce dont j’aurai besoin pour la fête. »
Oh oui, tellement de choses entrent en ligne de compte, le tissus, la tenue, la tête, les chaussures, sans compter la mise en beauté, bref tout l’arsenal coquetterie. Moulée dans un jean taille-haute mettant en valeur ses formes à l’africaine, Assiétou affirme que la Tabaski est, plus que ce que l’on pense. « C’est un jour où les femmes rivalisent d’élégance, de charme, dit-elle. Pour moi, cette fête est d’une grande importance. Je ne travaille pas, je suis étudiante dans une école de formation, mais je m’occupe seule de mes charges personnelles. Je me débrouille comme je peux, » dit-elle, hochant la tête. Où trouve-t-elle tout cet argent ? La jeune femme n’a pas voulu donner trop de détails sur sa vie privée, elle s’en est arrêtée là. Le bus qui l’a faisait poiroter se montrant enfin, coupe court à l’échange.
Sillonnant les rues de ce quartier, une idée jaillit de notre esprit. La cité Claudel, là, où s’entassent des jeunes femmes de toutes origines, de toutes mœurs confondues. Sous ce roi soleil dardant ses rayons, nous empruntons l’allée menant vers ce « mythique » logement. L’entrée est peu animée. Une jeune femme, voilée, élégante de la tête au pied, dans sa tenue meulfeu, sous le couvert de l’anonymat, nous mène vers une chambre.
Ici, loge, six jeunes femmes. Un groupe de cinq sont occupées à se vernir les ongles tout en discutant de vives voix, sur les préparatifs de la Tabaski. Décidément, c’est le sujet phare de ces jours. Rien qu’en écoutant leur point de vue, l’on se fait une idée sur ce qu’elles pensent de la fête. Une d’entre elles, la plus élancée du groupe, à la noirceur d’ébène affirme, tout en voulant tenir son nom secret : « Sokhnaci, je suis de Kaolack. Cela fait deux ans que je suis ici pour mes études, explique-t-elle. A chaque fois que je retourne dans mon quartier, les gens me dévisagent, histoire de voir si j’ai changé, physiquement, précise-t-elle. » Apparemment, les gens de son quartier s’attendent à ce qu’elle soit au top le jour de la Tabaski. « Je ne peux me permettre de rentrer les mains vides », scande-t-elle presque. « Ce serait donner une chance à mes ennemies de rire sous cape. Il me faut être la plus belle. Je me suis achetée un « thioup » et un cheveu naturel qui tombe à ma taille. Je leur en mettrai plein la vue, » crie-t-elle heureuse.
Alors la Tabaski a un impact pareil sur la vie de certains. La surprise est à son comble. Une fête religieuse qui vire à un concours de qui a la plus belle tenue, et surtout, la plus chère. La noirceur d’ébène laisse entendre sans ciller que ses prétendants ont fait le boulot, à sa place. « Il n’y a rien de mal à se laisser gâter. Je leur ai demandé certes, mais de façon implicite, » pose-t-elle. Une fierté visible fait briller ses beaux yeux, comme si c’était alors une obligation venant de ses aspirants.
A l’extrémité de la chambre, Aby, fait ses soins de beauté. Occupée à étaler son masque, la native de Diourbel se prépare à sortir. « Moi je dis, les garçons, copains des filles ne devraient même pas attendre qu’elles viennent à eux pour leur demander leur participation, » lâche-t-elle sans gêne. « C’est une obligation », poursuit-elle. « Tu es avec une fille, tu sais qu’une fête si importante approche, mais marque des points avec elle, sort lui le grand jeu, gâte-la, épate-la, offre lui la somme qu’il faut pour qu’elle se fasse plaisir, » dit-elle sérieuse. « Moi en tout cas, c’est aujourd’hui que je perçois ma somme promise. Mon copain est un vrai « guelewaar », » se vante-t-elle, narguant ses copines.
A cette confidence, il n’y en a pas une qui ne l’a regarde avec des yeux pleins d’envie. « Bien sûr, tu as parfaitement raison, les hommes aiment trop la facilité. Surtout ne lâche rien copine, » lâchent-la bande presque en chœur. « Comme j’aimerai être à ta place, » lui-sort Bintou. « Que peut-on faire avec nos bourses ? » regrette-t-elle, les épaules tombantes comme découragées. « Mais, lui-lance Soukeyna, voilée d’une manière respectable, tu dépends encore de la bourse, tu n’es pas au bout de tes peines ma chérie. » Pourtant, les traits de Bintou, la profondeur de son regard, laisse penser à une jeune femme d’une innocence presque fragile, aussi pure que du blanc. L’assertion selon laquelle il ne faut jamais se fier aux apparences prend vie chez elle.
En retournant sur nos pas, nous les abandonnons à leur réflexion. Certaines d’entre elles, se demandent toujours où trouver assez d’argent pour rayonner le jour-J. Apparemment rien n’est ni superflu, ni de trop, pour décoder le trésor le plus précieux en ce moment, « l’argent », la plupart du temps, au péril de leur intégrité. De l’avis de certains, le réel problème, c’est que ces femmes ne calculent pas les regrets qui pourront s’en suivre. Car après tout, tous ces préparatifs, toute cette anxiété, pour une journée qui ne dure même pas le temps d’une rose, elles font le sacrifice. Pour elles, cela en vaut la peine.