Alioune Badara Sall, Teranganews-Kedougou
Dans un pays à majorité musulman comme le Sénégal, on s’attendrait à ce que les restaurants soient vides la journée pendant le mois de jeûne du Ramadan. Mais au contraire, ils ne désemplissent pas. A l’heure du repas de midi, dans les gargotes et autres restaurants de Kédougou affichent presque le plein. Reportage !
Le mois de Ramadan, comme on le sait tous, est un mois de dévotion, d’abstinence, de purification et surtout, puisque c’est l’aspect qui est plus mis en avant, de privation de nourriture pour les musulmans. Elle est en principe celui qui différencie ce mois béni aux autres mois en dehors du carême des chrétiens. Rester toute une journée sans manger ni boire, il faut être dans le mois de Ramadan pour y être obligé, en tout cas pour les musulmans. Mais, au moment où certains observent le jeûne, d’autres n’en ont cure ou brandissent souvent des prétextes cousus de fil blanc.
À Kédougou, cette pratique contraste d’avec les recommandations de la religion musulmane en cette période de carême. Ici, des restaurants restent encore ouverts durant la journée et accueillent des visiteurs pour la plupart des musulmans qui font, pour une raison ou pour une autre, fi à cette obligation. C’est le cas dans la commune de Khossanto où les quelques restaurants visités nous le prouvent à suffisance.
Sur la grande piste qui traverse la commune, une dibiterie fait face au poste de santé de la commune. Sur place, deux individus, des Haoussas grillent tous les jours de la viande au grand bonheur des férus de viande et autres grillades. Couché dans sa hutte, le visage dégoulinant de sueur du fait de la chaleur, trois cuisses de poulets posées sur un grillage sont laissées à la merci du feu. Le vendeur nous explique que les clients ont beaucoup diminué. « Ça marchait plus avant le ramadan. Maintenant, nous recevons des clients mais pas comme avant. En plus, la plupart d’entre eux sont au travail» nous fait-il savoir.
Juste à l’angle, nous voilà chez Coumba, une restauratrice. Seule dans son restaurant, jambes entrecroisées, elle ne semble pas avoir préparé ce jour. Et pourtant si. Coumba était à l’attente de clients pour lui acheter ce qui restait de la préparation du jour. « J’ai préparé, il en reste encore un peu. Avant le ramadan, à l’heure actuelle, j’avais déjà fini de nettoyer les bols. Mais, il n’y a pas beaucoup de personnes, c’est pourquoi il en reste encore de la nourriture» se désole-t-elle.
Même son de cloche chez Assy qui a transformé son restaurant en une boutique de vente de mangues et d’autres produits ou dérivés durant le mois béni. Le visage aminci, signe de la privation de nourriture. Assy nous renseigne que, durant le Ramadan, elle ne prépare plus à manger sauf si c’est de la bouillie de mil pour le soir. « Durant le ramadan, je ne vends pas de déjeuner, ni de petit déjeuner parce qu’il n’y a pas de clients. J’ai décidé de vendre de la bouillie de mil pour le soir. Car, beaucoup le prennent après la rupture». De plus, Assy n’a pas manqué de nous exposer les difficultés qu’elle rencontre étant au restaurant, ce qui l’ont conduit à cesser ses activités de restauratrice. « En plus, c’est difficile de travailler seule dans un restaurant. Si on trouve une bonne, elle peut arrêter de travailler du jour au lendemain si elle voit autre chose. C’est comme quand leurs amies les influence à aller travailler dans les djouras. La plupart arrêtent de travailler pour y aller avant de regretter» nous confit-elle.
« C’est toujours le rush en pleine journée de ramadan »
Si ces femmes restauratrices éprouvent des difficultés durant le Ramadan, ce n’est pas le cas de Cheikh qui s’est installé il n’y a pas longtemps. Pour lui, il n’y a pas de différence entre la période d’avant ramadan et maintenant. Puisque, les clients viennent toujours lui rendre visite dans ses nouveaux locaux avec des tables bien préparées, un tapis au sol, un poste de téléviseur et des filles pour assurer l’accueil. Juste ce qu’il faut pour attirer la clientèle et s’imposer dans ce marché de concurrence. Originaire de Dakar plus précisément du Point E, ce boy Dakar entend mener son activité convenablement durant le Ramadan. «Vous savez, je suis venu ici, ça fait huit mois. Et au début je voulais arrêter le ramadan mais, après une semaine, j’ai constaté que les clients venaient encore. Et donc, j’ai continué à ouvrir mes portes. Ici, les gens continuent à venir. Pour preuve, avant de finir notre interview, une personne d’un âge avancé fait don entrée dans le restaurant. Habillé en noir, le vieux s’est adressé en pulaar à la femme qui l’a accueilli et cette dernière lui a cité quelques plats, certainement ceux qu’ils ont préparé.
Cheikh, le propriétaire du restaurant, il avance que même si les clients arrivent encore, ça marchera plus quand l’explication de l’or redémarrera. Et que les conditions de travail des habitants d’ici font que certains ne jeûnent pas. « Le climat d’ici oblige les gens à ne pas jeûner. Mais, ici, mes clients sont pour la plupart des étrangers, des nigérians, des Maliens, burkinabè etc. C’est pourquoi, il n’y a pas de changements puisqu’ils ne jeûnent pas. Des fois, j’oublie même qu’on est au mois de Ramadan » renchérit-il avec le sourire.
Nous prenons congé de Cheikh pour faire un crochet chez Maréme. Là aussi, la marmite attend des clients qui viennent timidement. Il faudra attendre d’ici le soir pour que ce qu’elle a préparé se termine. Ou bien, devra-t-elle compter sur les filles trouvées sur place, sûrement ses parents, que nous avons trouvés en train de déguster langoureusement des mangues. Ici, le ramadan est un état d’esprit.