Nous avons tous cet enseignant que l’on n’oubliera jamais. Ceux que l’on n’aime le plus sont ceux-là qui suscitent en nous admiration et envie d’apprendre. Admiration parce qu’en même temps, ils réveillent dans le cœur des apprenants la fibre passionnelle du culte du travail. Certains provoquent même, de beaux sentiments chez leurs élèves.
Ce vendredi, ils sont célébrés ici, et ailleurs. Celle qui représente ce 5 octobre les enseignants modèles du Sénégal répond sous le nom de Philomène Marthe FAYE. Elle est de cette graine d’enseignante que tout parent voulant le bien pour son enfant veut comme éducatrice. Raffinée et policée, polie et joyeuse, Mme FAYE a dédié sa vie à ce noble métier.
« Durant tout son parcours, elle a été d’un professionnalisme rare, » révèle M. FAYE, préfet de l’école. Dans l’établissement où elle a servi, on la surnomme « la maîtresse du cœur ». Un surnom que lui a donné ses élèves, les tout-petits de surcroît. Aujourd’hui retraitée car âgée de 60 ans depuis novembre 2018, plusieurs générations ont profité de son enseignement bienveillant. Son parcours, raconté de sa bouche, confirme ces dires. Et parce que demander d’où est née la passion d’un métier est toujours bon, elle commence par cela. « J’admirai la première maîtresse que j’ai eu. C’était une française, que j’aimais beaucoup parce qu’elle était gentille, qu’elle nous traitait mieux que ne le faisait parfois nos parents, » se souvient-elle. Dans sa voix, une lueur de reconnaissance est perceptible, car pour l’enseignante, cette rencontre a été le début du commencement. « Le jour où elle nous a demandé ce que nous voulions faire, j’ai levé la main en premier et je lui ai lancé, je veux faire vous, madame, » dit-elle esquissant un fou rire.
Hormis les parents, les enseignants sont les premières personnes qui suscitent l’admiration des enfants. En leur inculquant du savoir, ils leur apprennent aussi quelques choses de la vie. Même si le reste est acquis à leurs dépens.
Nous leur devons l’alphabet, nous leur devons notre première récitation, nous leur devons nos premiers gribouillages sur un papier blanc, nous leur devons notre premier poème, notre premier phonème, notre première chanson française gazouillée.
C’est à 17 ans que Mme Philomène débute l’aventure de sa vie professionnelle. « J’ai commencé en travaillant comme bénévole dans une maternelle. J’ai grimpé les échelons. A 31 ans, je suis entrée officiellement dans le corps professoral. Parce que j’ai décidé de rentrer servir les enfants d’ici , après des études en France, » dit-elle.
Quand elle parle de son métier, c’est avec un enthousiasme qui ne trompe pas. Les conditions ont beau pu être difficiles, elle a été une enseignante passionnée, qui a su sans aucun doute passionner son public.
On affirme souvent que l’enseignement est une vocation, un art, un don. On saurait ou on ne saurait pas enseigner. Pour transmettre des connaissances (le latin, l’histoire du Sénégal, la physique des matériaux) ou des compétences (la lecture, la natation, l’improvisation musicale), il serait à la fois nécessaire et suffisant de les posséder soi-même. Le reste serait affaire de bon sens et de bonne volonté.
Les collègues de l’enseignante ont lâché ce que la maîtresse, humble, n’a pu dire. « Philomène a ce tact, dit Mme Sarr, ce naturel, ce sourire facile, ce cœur, qui met en confiance les élèves et pas seulement les siens. »
Sa collègue Mme Sarr confie toujours, avoir été témoin, plus d’une fois, qu’un élève vienne s’ouvrir à Mme FAYE en lui parlant de ses problèmes personnels. « Philomène traitait ses élèves comme s’ils étaient ses propres enfants. Elle les choyait lorsqu’ils persévéraient et faisaient mine de les gronder en cas de désobéissance. Jamais, elle n’a levé la main sur un de ses élèves bien au contraire, elle les traitait avec grand respect, compréhension, peu importait leur âge, » dit Mme Sarr.
Plusieurs anecdotes lui ont mis du baume au cœur durant son parcours. « Le jour où une de mes élèves m’a dit, après une séance d’explication, Maîtresse c’est comme si vous aviez un don, est un moment que je n’oublierai jamais. Ou, au dernier jour d’école, lorsque les enfants me remettent un cahier souvenir où ils écrivent beaucoup de choses comme, dit-elle toute émotive, merci maîtresse, on t’aime maîtresse… »
Qu’est-ce qu’un bon prof ? C’est la question à mille dollars, à laquelle il y a probablement autant de réponses que d’élèves dans les écoles du Sénégal. A cette question, Mme Philomène répond : « Le maître est unique, mais les élèves sont tous différents. On a beau avoir trouvé la méthode idéale, il y a toujours un enfant pour refuser de s’y soumettre. Tout comme l’enfer est pavé de bonnes intentions, les pédagogies les plus généreuses peuvent aboutir aux pires violences, » dit-elle. « Il n’y a pas de modèle unique de ce que devrait être un bon prof, poursuit-elle. Et il ne suffit pas d’enseigner pour que les autres apprennent. Le savoir ne transite pas miraculeusement du cerveau du maître vers celui des novices. Nos connaissances se construisent, elles se stabilisent par moments, se transforment à d’autres. Les enfants, pour ne citer qu’eux, ne sont pas des citernes vides qu’il suffirait de remplir. Ils ont des représentations, des conceptions, des préjugés, des attentes qui peuvent faciliter, mais aussi contrarier leurs apprentissages. Le travail de l’enseignant consiste moins à » professer « , qu’à proposer des situations énigmatiques, interactives, stimulantes propres à mobiliser les connaissances des élèves, » pose-t-elle.
Il y a là quelque chose de précieux, de subtile, d’évanescent, qui prend certes l’apparence du pur talent, mais l’apparence seulement. Le professeur expert n’est pas différent du footballeur ou du chef d’orchestre. Il a peut-être des qualités, mais il a surtout des heures de travail, d’entraînement, de formation derrière lui. Il a développé des aptitudes d’analyse, de compréhension et d’intervention qui se sont progressivement enrichies et automatisées. Si elles prennent l’allure du « naturel », elles ne doivent pas nous leurrer : on ne devient pas un « bon prof » ou un « enseignant expert » par simple immersion dans la marmite scolaire. Il y faut de la résolution, de la réflexion et du labeur.
Un enseignant brouillon et peu structuré, mais qui passionne ses élèves, est-il meilleur qu’un collègue ennuyeux qui maîtrise sa matière sur le bout des doigts ?
« Ahh non », interpelle Mme Philomène, le plus beau d’entre tous est lorsque mes élèves m’ont écris une lettre avec la fin, nous voulons faire comme vous maîtresse », dit-elle un trémolos dans la voix. « A cet instant je me suis dite que je pouvais prendre ma retraite, tranquille, car j’ai pu susciter chez mes élèves ce que ma maîtresse a suscité en moi... »