De Chérif Abdou Aziz Touré
Comme presque partout dans le monde, le Sénégal est un pays où l’opinion publique est généralement façonnée par les médias. Et conscient de ce pouvoir d’influence réel, certains patrons de presse en profitent pour défendre des intérêts crypto-personnels maquillés en intérêts du peuple. Aujourd’hui, l’exemple type d’une telle entreprise de manipulation est incarné par Madiambal Diagne président du groupe « Avenir communication » et non moins président de l’Union de la Presse Francophone. Madiambal Diagne est en effet mêlé à trop de sauces pour vouloir en sortir indemne. Aujourd’hui, il est le président du conseil d’administration de Yavuz Selim qu’il veut vendre comme une école dont l’actionnariat serait détenu par des particuliers sénégalais. Et même si c’est vrai, M. Diagne a certainement omis de préciser aux sénégalais que les réseaux Fethullah Gülen allaient bien au-delà de la nationalité turque et qu’il s’agissait plutôt d’une confrérie idéologique avec ses valeurs propres. Il n’a pas révélé aussi que son journal, « Le Quotidien » a toujours servi de tribune aux idées de Fethullah Gülen dont les contributions sur les questions purement religieuses y foisonnaient comme si Madiambal Diagne s’était reconverti à ses idéaux sans en aviser ses lecteurs. Gülen y est subtilement présenté comme un érudit musulman, un soufi d’une dimension mystique incontestée. Que faut-il de plus comme argument pour commencer à douter des accointances logiques entre Madiambal et Gülen ?
L’affaire Yavuz Selim pas aussi simple qu’on aimerait nous le faire croire
Présentée par certains médias comme une banale affaire dans laquelle l’Etat du Sénégal s’insurge contre une école dont le seul tort serait de vouloir offrir une éducation de qualité à une frange de sénégalais, l’histoire de la fermeture annoncée de Yavuz Selim cache une réalité bien plus complexe. La stratégie de victimisation de ses « propriétaires » offre le spectacle d’un combat entre David et Goliath, mais dans les faits, les intérêts en jeu dépassent les personnalités mises en avant sur l’arène nationale. En effet, tandis que l’actuel Président turc, Recep Tayyip Erdogan poursuit sa tentative de neutralisation des réseaux du puissant homme d’affaires et prédicateur, Fethullah Gülen qu’il accuse d’avoir fomenté le putsch avorté contre son régime, ce dernier s’appuie sur ces mêmes réseaux dont les tentacules sont bien ancrés dans les lobbys financiers et médiatiques du monde entier pour poursuivre son action « humaniste » et financièrement fructueuse.
Il faut prendre en compte dans cette lutte acharnée à laquelle se livrent Erdogan et Gülen que le Président turc s’est fait très dérangeant vis-à-vis des américains, des israéliens, des français, allemands, bref des occidentaux de manière générale. Au point qu’il ne faut aucunement s’étonner de voir ces derniers déployer toute leur armada diplomatique et militaire pour renverser Erdogan qui ne partage pas leur vision du monde et ne s’en cache pas du tout. Et au plan géopolitique, la Turquie et la Russie jouent un rôle stratégique dans l’équilibre des forces sur l’échiquier international. La guerre syrienne en est une parfaite illustration, car les occidentaux ont déployé une énergie considérable pour renverser le régime de Bachar Al Assad. Ils sont allés jusqu’à financer, équiper et former des groupes rebelles collaborant avec des groupes terroristes. « Le commandement des forces américaines au Moyen-Orient a reconnu que des rebelles syriens, formés par les Etats-Unis, ont remis 25% de leurs munitions à des combattants du Front al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda », informe un article paru le 26 septembre 2015 dans le site d’informations, express.fr. http://www.lexpress.fr/actualite/monde/syrie-des-rebelles-formes-par-les-americains-ont-donne-des-armes-a-al-qaida_1719751.html. Cependant, l’appui des armées russes et turques constitue un mur d’acier que l’Otan et ses alliés peinent à percer en Syrie. D’ailleurs, la campagne de diabolisation de Poutine et Erdogan découlent de cette même volonté de dépeindre ces récalcitrants à l’ordre mondial comme des dictateurs sans foi ni loi, prêts à piétiner leur peuple pour s’éterniser au pouvoir. Un tableau bien loin de la réalité.
Dans une dynamique pareille, il serait tout à fait irresponsable voire simpliste que de vouloir jeter le discrédit sur l’Etat du Sénégal, sous prétexte que la Turquie nous impose sa volonté, car de part et d’autre les enjeux sont énormes. D’un côté, Erdogan veut sauvegarder la grandeur de la Turquie qu’elle tient de l’Empire Ottoman qui a régné sur le monde durant des décennies avec des empereurs à la grandeur d’esprit incontestable comme Soliman 1er dont le père s’appelait comme par ironie Selim 1er Yavuz. De l’autre côté, une secte mondiale dirigée par Fethullah Gülen qui se sert de ses établissements et des médias comme celui de Madiambal Diagne pour étendre son influence dans le monde, avec l’appui précieux de ses partenaires occidentaux.
Le jeu de clair-obscur auquel Madiambal Diagne se livre doit par conséquent interpeller un esprit averti. Un homme dont les chroniques hebdomadaires sont parfumées à l’odeur de ses intérêts du moment. Point de neutralité ou d’objectivité qui tienne ! Le principe étant de tirer à boulets de canon sur l’adversaire du moment. La casquette du journaliste cédant tantôt la place à celle de l’ami du Président, tantôt à celle de l’homme d’affaires épris de justice et prêt à tout pour défendre ses intérêts.
Comment pourrait-on se fier aux jugements d’un homme qui fonctionne de la sorte et qui oriente le traitement de l’information dans le sens de ses affaires ?