Comme une occasion, la fête passée de Korité a agi en stimulateur. Une réflexion sur ces femmes, qui ne se cantonnent plus au rôle d’épouse et de mère, s’est glissée furtivement dans les esprits. Une évolution sociétale qui pose une réflexion quant à cette multiplication des rôles, cette ambivalence. Le plus curieux, c’est de voir que ce choix des femmes puisse s’avérer dangereux pour leur couple, dans la mesure où, certains époux le leur interdisent.
Ce n’est plus étonnant maintenant de voir une femme, mariée et mère, délaisser son foyer pour son travail. Modernité, parité, ou choix de vie, la question ne se pose presque plus. Car, les femmes ont fini de s’imposer dans la sphère professionnelle. Ce qui démange les esprits, c’est plutôt le comment ? D’autant plus qu’il peut arriver que de sérieux problèmes de couple en découlent, jusqu’à aboutir à une séparation. Un problème de ce genre survient surtout avec la jeune génération. Peut-être, inexpérimentée, un brin immature, à la limite, irresponsable. C’est sans doute pour ces raisons que les adultes s’immiscent dans leurs ménages.
Mme Cissé 29 ans, directrice marketing d’une société, affirme qu’elle réussit tant bien que mal à maintenir l’équilibre. Assise en face de son ordinateur, en working-girl, c’est entre coups de fil, réponses aux nombreuses sollicitations de ses collègues, que Mme Cissé se prête à nos interrogations. « Tout est une question d’organisation, avance-t-elle. Mon mari m’a permis de poursuivre mes ambitions professionnelles à la condition que cela ne soit pas cause de disputes, de problèmes. La vie de couple est comme toutes les autres formes de relations, même s’il y a une légère différence. Un couple doit être entretenue par des attentions, et compromis simples, aussi bien de la part du mari que de la femme. J’évite autant que possible de sortir du bureau tous les soirs après 18h. Dans la mesure du possible, je ne ramène pas de travail à la maison. Surtout, j’évite de trop parler du contrat super important ou du collègue qui m’agace depuis quelque temps, dit-elle le sourire aux lèvres. C’est la manière que j’ai trouvée pour couper la sphère privée et celle professionnelle. J’ai compris qu’il est primordial, afin que l’une n’empiète pas sur l’autre. »
A l’image d’Aissatou, Ndeye Collé nous confie que ses problèmes commencent lorsqu’une bonne se fait désirer, surtout pendant un jour ouvrable. « Je suis assez ordonnée comme femme. Parce que pour pouvoir allier ses trois, en plus d’être maman, il faut vraiment avoir des talents de jongleuse. Quand la bonne ne vient pas, j’ai un sacré problème, part-elle d’un fou rire. « Je me lève vers les coups de 3h du matin pour m’occuper de la maison, préparer et le petit-déjeuner, et le déjeuner avant de partir, pointer à 8h tapante. Sans parler des enfants… J’arrive au bureau surmenée, presque sans énergie. C’est loin d’être du gâteau. Il n’est pas évident de trouver un équilibre entre le statut de mère, d’épouse et ses propres ambitions, poursuit-elle. Mais, je fais juste ce que je peux. Je suis libre, dans ma tête, car j’ai renoncé à l’idéal de perfection. J’ai accepté de ne pas recevoir de gratifications traditionnellement dévolues aux femmes, » argue-t-elle avec véhémence, d’une voix fortement déterminée. Beaucoup de mères de famille, d’épouses ont la sensation de ne jamais faire assez, de ne pas réussir à s’organiser comme il le faudrait ou encore de ne pas être suffisamment présente. Nous avons le droit d’être fatiguée et imparfaite sans forcément ressentir une certaine culpabilité. De plus, ajoute Ndeye Collé, nul n’est à l’abri du malheur. « Si toutefois, mon époux faisait face à des difficultés financières, ou que je me retrouvais, du jour au lendemain veuve, ou qu’il soit en prison, parce que tout est possible. Alors là, comment je ferai, si je n’avais aucune activité rentable ? », pose-t-elle, soucieuse.
La chance que ces dames ont, Sokhna Maimouna, la trentaine, ne l’a pas eue. Elle a vu ses rêves partir en fumée, ses ambitions brisées. Hormis la raison de l’interdiction de son époux, ses proches prenaient comme prétexte son nom. En fait, Sokhna Maimouna est l’homonyme de la fille du guide spirituelle Cheikh Ahmadou Mbacké. « Ma famille me rappelait sans cesse que je dois prendre exemple sur mon homonyme, ‘une épouse parfaite’. J’avais des rêves, des ambitions, j’ai deux diplômes à mon actif. Un en lettres modernes et un autre en management des entreprises. Il m’a fait abandonner mon travail. Pourtant, je travaillais avant qu’il ne m’épouse, confie-t-elle d’un air triste. Maintenant, ma vie se limite entre ses quatre mûrs, dit-elle en passant un coup d’œil circulaire dans son salon majestueusement décoré. Cela ne me convient pas. Ce n’est pas la vie que j’espérais pour moi. Mais, je n’ai pas le choix. Il est l’homme de la maison, mon ‘kilifeu’. Après tout, dit-elle, résignée, c’est lui qui a le dernier mot. » A l’observer parler, l’on sent un net sentiment de renoncement au droit de faire ce qui la rendrait heureuse.
A ces femmes-là, leur talent de jongleuse les réussit. Toutefois, ce n’est pas le cas de toutes les femmes. Celles dont je veux parler se confrontent au refus de leurs époux. Certaines, ont choisi de claquer la porte, en demandant le divorce. Si le fait de vouloir ne plus se cantonner au rôle de mère et d’épouse, tout en ne voulant pas mettre de côté ses ambitions professionnelles posent un embarras, ou découle sur une séparation, alors… Il y a problème. Assumant stoïquement leur choix. Elles prétendent faire face aux critiques, aux stigmatisations, aux jugements et au regard des autres. Ndeye Nafi Ndour, 27ans, hôtesse de l’air le sait pour l’avoir vécu. « J’ai pris la décision de demander le divorce à mon époux. Il n’a pas respecté sa parole. Avant que l’on ne s’unisse, ce point a été l’une des plus importantes que l’on a soulevées. La question du travail. Déjà, dit-elle, d’une voix laissant entendre une once d’indignation, dès que le mariage fût scellé, il m’a dit qu’il ne voulait plus que j’exerce mon métier. Tenace, il m’a dit qu’il allait me verser le montant exact que je percevais à la compagnie. Comme je ne voulais pas trop d’histoire, je m’en suis ouverte à ma tante qui m’a éduquée, elle m’a conseillé d’accepter. Ce que je fît. Mais, au quatrième mois, pas de salaire. J’ai fait celle qui n’avait rien vu. Au cinquième mois, pas de salaire. Je lui ai demandé des explications au sixième mois. Il m’a dit qu’il ne pouvait continuer à me verser mon salaire mais, qu’il n’accepterait pas que je travaille. Je suis partie. Il fallait faire un choix, je l’ai fait» confie-t-elle. Dans sa voix, dans ses mots ni sur son visage, nulle trace d’un quelconque remord. Nafi explique que c’est dû au fait qu’elle soit orpheline, et que les enfants de sa tante à qui, elle doit une fière chandelle pour l’avoir prise sous son aile au décès de ses parents, comptent sur elle pour leurs études.
L’on constate cependant des divergences d’opinions du côté des époux. La plupart constitue un soutien, et prête main-forte à leurs dames. Tandis que d’autres, portent un regard tout autre. Saliou Kane, confie avoir permis à son épouse d’exercer son métier de banquière, et continuer ses études. Aujourd’hui, il dit regretter. « Tout homme souhaite être accueilli par son épouse à sa descente. Sa manie de rentrer tous les jours à des heures pas possible a fini à la longue par m’être insupportable. Le matin, elle va au travail, puis continue à son école de formation. C’est la bonne qui fait tout. Ce n’est pas la bonne que j’ai épousé moi, s’indigne-t-il. Son épouse, intervenant sous le couvert de l’anonymat confie l’avoir menacé de le quitter, et pose ses raisons : « Je ne travaille pas en vain. Mes parents n’ont que moi. C’est à eux que je verse la moitié de mon salaire mensuel. Les hommes je ne les comprends pas, dit-elle en hochant la tête. Depuis que l’on est marié, je n’ai jamais sauté une occasion de faire des largesses pour sa famille. Le soukeurou koor, tout…, de ma poche. Avec toutes ces responsabilités, comprendre son vœu m’est juste impossible, » soutient-elle en fronçant les sourcils.
D’autres époux rencontrés ont partagé l’avis de Saliou. Ils soutiennent ne pas être d’accord avec les femmes qui veulent allier boulot, ménage et études. Pour cause, ils affirment qu’il est impossible d’être sur plusieurs fronts. Car, il y en aura forcément un, qui en pâtira.
Évoluer professionnellement sous-entend forcément faire des sacrifices personnelle, de la même manière qu’entretenir son couple et devenir maman engendrera forcément des sacrifices professionnels. Même si c’est compliqué et difficile parfois. L’équation n’est pas “femmes = enfants = on fait ce qu’on peut, comme on peut, et si on ne fait pas carrière, tant pis”… L’équation est : “femmes = enfants = concilier le temps nécessaire à la carrière, le temps des enfants, et de l’épouse”. Et pour cela, la parentalité doit devenir autre chose que ce qu’elle est, cette sorte de fardeau mis sur le dos des femmes.