Le Ramadan est une occasion pour les femmes sénégalaises de renouveler leur estime et d’entrer dans les bonnes grâces de leur belle-famille. Pour cette occasion, elles ne lésinent pas sur les moyens et mettent le prix qu’il faut pour s’attirer la reconnaissance de la belle-famille.
D’hier à d’aujourd’hui, faisant son chemin, le « sukeurou koor » a eu le temps de changer de face. Ce mois béni sensé être un moment de prières et de privations pour les musulmans, se trouve avoir une certaine particularité pour les femmes mariées sénégalaises. Ce qui était avant un acte symbolique, est maintenant devenu une obligation, d’où la hantise des femmes mariées. Car, la donne a changé. Adja Mariétou Mbaye, la soixantaine, assise près de sa maison à fass, la dentition rougie par la cola, nous raconte ce qu’était et signifiait le « sukeurou koor » d’avant : « Les anciens ne faisaient jamais rien pour rien. Tout ce qu’ils créaient, servait pour une bonne cause. Avant, aux temps où nous étions jeunes, le « sukeurou koor » avait pour but de raffermir les liens entre la brue et sa belle-famille. Ce n’était pas tellement une obligation. On offrait du sucre, un paquet pour la plupart ou plusieurs. C’était en fait selon les moyens. Et nulle n’était indexée ni jetée en pâture par la belle-famille, » explique-t-elle, un cure dent à la main. Mais, les changements qui se sont faits dans plusieurs domaines n’épargnent pas celui-ci. Au moment où les musulmans du monde appréhendent et attendent le Ramadan avec philosophie, les femmes elles, sont gagnées par la peur et l’angoisse de décevoir la belle-famille ou de devenir leur risée. Pour ce faire, elles misent sur tissus de valeurs, parures en or, sommes d’argent conséquentes ou paniers remplis de toutes sortes de bonnes choses. Mme Gaye, la vingtaine, en atteste : « Je vis dans une famille où cohabite mes beaux-frères et leurs épouses, en plus de ma belle-mère. Lorsque le Ramadan approche, je vis dans une profonde tourmente. Car, c’est une course et aucune de nous ne veut être la dernière. Et moi, j’en suis la plus malchanceuse parce que j’en pâtis le plus. Mon mari et moi n’avons pas d’importantes ressources financières. On ne roule pas sur l’or nous. Mais, je n’ai pas le choix car, toutes les autres femmes de la famille le font. Pour arriver à leur niveau, soit, je fais en sorte de mettre de l’argent de côté, ou je fais tout pour gagner à la tontine, ou à défaut, je m’endette. Je n’achète pas la même chose tous les ans. L’année dernière c’était des tissus de valeur. Cette année je vais opter pour les paniers. » Pour la plupart des hommes, cette pratique n’est rien qu’une pure futilité. C’est l’avis de Gningue, un homme d’une trentaine : « Mon épouse me prend la tête à chaque approche de Ramadan. D’après elle c’est pour faire plaisir à ma famille. Mais, avec ces temps qui courent, nous avons d’autres préoccupations en tête. Personnellement, je ne suis pas pour et je ne lui donne pas un centime, » avance-t-il avec véhémence. Ndeye Fall, surnommée Falla, se braque. Un peu énervée, elle lui lance : « Si on se décarcasse, c’est pour vous. Si vos mamans et vos sœurs n’étaient pas si avides d’argent, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Lorsque vos familles se permettent de dire toutes sortes d’insanités à notre encontre, vous n’êtes pas là pour entendre, » dit-elle le regard menaçant.
Pourtant, certaines belles-mères se démarquent du lot en épargnant leurs belles-filles de ce fardeau trop lourd à porter. Aissatou Kane, la cinquantaine le certifie : « Je n’exige rien à mes brus, je les considère comme mes filles. Car, si les miennes subissaient une quelconque pression de la part de leur belle famille, cela ne me plairait pas. Mais, au Sénégal, nous connaissons la teranga, donc toute bru doit s’y plier.»
Avec le sucre qui a fait place aux matériels de valeur, les conséquences qui peuvent en découler ne surprend personne. Beaucoup de femmes mariées en ont eu des problèmes avec leur belle-famille. Une dame préférant garder l’anonymat en témoigne : «Mes belles-sœurs sont de véritables vautours. Elles attendent beaucoup de moi durant cette période. J’avoue que c’est moi qui les ai habituées à cela. Mais, si j’avais une machine à faire remonter le temps…dit-elle pensive. Je leur offrais des tissus de luxe, des bijoux en or, parce que je voulais me faire une place dans la famille. Là, je suis en train de regretter amèrement. Elles se sont révélées ingrates surtout, mes belles- sœurs. Maintenant qu’il m’est assez difficile de continuer ce rythme, je suis descendue de leur estime. Ce sont des histoires à longueur de journée. Mais pour ce ramadan- ci, ce sera la loi du talion. Je n’offrirai de cadeau qu’à mes beaux-parents. Je pense que ce sera un copieux dîner. Et je conseille aux filles qui viennent de se marier de faire très attention à ce genre de pratique car la vie de couple ce n’est pas un seul jour, c’est pour toute une vie, » dit-elle amère. Si cette dame a pris une mesure draconienne contre ces belles-sœurs, Mme Sylla quant à elle va mettre les petits plats dans les grands. Avec un enthousiasme qui frise la naïveté, puisque c’est son premier sukarou kor, elle affirme : « La première frappe doit rester dans les mémoires. D’ailleurs, ma mère m’aide dans ce sens. J’offrirai des tissus, pour la korité, des bijoux, un panier garni et dîner qui restera longtemps dans les mémoires, » dit-elle, la mine fière.
Le « sukeurou koor », constitue la hantise de bien des femmes. Car, incontournable dans la société, elles s’y plient, la plupart du temps, à contrecœur. Mais, les choses étant ainsi faites, aucun choix ne se pose. Et, cela les pousse à faire des folies. C’est pourquoi, l’on se demande si faire ses largesses, selon ses moyens, donc, dans la continuité ne serait-elles pas plus judicieux ?