Avec les chantiers qui pullulent à Dakar, il ne serait pas étonnant de se demander comment les hommes de chantiers survivent dans cette période Ramadan. Le ventre creux, la gorge sèche, ils mettent à rude épreuve leur métabolisme. Sous ce soleil d’aplomb, la pensée de certains d’entre eux, s’oriente vers l’impensable : une interruption du jeûne.
Leurs mines fatiguées, reflétant une lassitude visible, leur transpiration dégoulinante, accrochent et ne peuvent passer inaperçues. Moulés dans des habits déchirés, mouillés par leur sueur, Fallou, Gora et Moustapha, ont l’air de gens en plein « Djihad », au vu de tous les efforts fournis. Trouvés dans le populeux quartier de Fass, dans un chantier presque fini, ces maçons, menuisiers, et carreleurs, s’activent dans leur labeur. Le quotidien de ces hommes est rythmé d’activités intenses et parfois très difficiles. Ceci s’expliquent sans doute par la nature des professions qu’ils ont épousées.
Selon Gora, le doyen, la faim est psychologique. « Avec 30ans d’expérience, le métier de carreleur n’a plus de secret pour moi. Le Ramadan ne change pas grand-chose dans mon métier. Je commençais très tôt le matin, pour terminer vers les coups de 16h. Ma conviction, est que la foi est une arme redoutable pour vaincre la faim », explique-t-il sourire.
L’avis des séniors dans le métier est assez différent des juniors qui eux, viennent de faire leur entrée dans ces corps. La mine fatiguée, les traits tirés, Fallou tire difficilement le seau rempli de sable vers le toit. Indifférent aux railleries de ses camarades, il s’assoit, quelques minutes pour retrouver son souffle. «Cela ne fait pas longtemps que j’exerce le métier de maçon. C’est mon oncle qui m’a mis en rapport avec le chef de ce chantier. C’est mon premier Ramadan en tant que maçon. Je ne vais même pas vous dire que c’est difficile parce que cela saute aux yeux. Il m’arrive parfois de me dire tout bas que je vais arrêter le métier et trouver autre chose. Avec cette chaleur, nous courons la déshydratation. Je ne donne que ce que je peux donner. Quand je sens que je n’en peux plus, je m’assois un moment », dit-il entre deux souffles. Babacar, pelle à la main, renchérit : « C’est la peur des quand dira-t-on qui nous pousse à ne pas flancher. Mais beaucoup d’entre nous, qu’ils l’avouent ou non, pensent ou ont, et cela, plus d’une fois pensé à rompre leur jeûne. Surtout vers 15h, quand la chaleur se fait ressentir jusque dans les profondeurs de l’âme, et que l’on a cette sensation de la gorge sèche, dit-il, on voit de l’eau partout. » Cette confession n’a pas manqué de provoquer l’hilarité. Des rires et des moqueries fusaient de partout. Babacar lui, faisant comme si de rien n’était, profitait de ces instants de répit.
Cheikh, le chef de chantier a affirmé qu’il faisait preuve de tolérance pendant cette période. « Les méthodes et les horaires de travail changent durant ce mois. Fallou et Babacar, je les comprends, car ils sont jeunes, et n’en sont qu’à leur début. Même les adultes en pâtissent. Mais, le jeûne n’est véritablement pas une excuse pour lever le pied dans le travail. Nous essayons tant bien que mal d’alléger le travail, en regroupant nos efforts le matin, afin d’abattre le maximum de tâches, avant que le soleil ne soit au Zénith. Car pendant l’après-midi, quand on sent la fatigue et la lassitude prendre possession de nos corps, cela devient insoutenable. C’est la raison pour laquelle, on essaie de changer quelques habitudes. Et c’est plus prudent, dit-il avec un léger sourire moqueur, pour éviter que quelqu’un ne tombe en syncope. Plus d’une fois, on a eu des cas d’évanouissements. Ce n’est pas évident. »