Le dîner ! Ce mot qui avait une résonance particulière sonne maintenant tout faux dans le quotidien de la plupart des sénégalais. Tout porte à croire, que ce dernier repas du jour commence à perdre son caractère indispensable. Jour après jour, les sénégalais porte leur choix sur la nourriture des fast-food, des restaurants, des tanganas, et autres gargotes, au grand dam des repas fait maison.
Toute chose fréquente devient à la longue, normale. C’est ce qui est en train d’arriver au dîner, sensé être le dernier repas du jour. Devenant de plus en plus banal, au regard de la société, ce phénomène, plus présent dans les localités populaires, fait désormais partie intégrante du quotidien de certains sénégalais. Dans le populeux quartier de la Gueule-Tapée, vers la rue surnommée « boulangerie », l’ambiance est à son comble. L’on se croirait en plein jour. Pourtant, l’horloge sonne 22h. Une longue file de gens, s’impatientant, attire notre attention. Un coup d’œil par la fenêtre ouverte nous édifie sur l’endroit. Un restaurant communément appelé « tangana ». A le voir, ce petit coin de mets est assez prisé. Bruits, chansons mis en sourdine, éclats de rires, discussions à haute voix, fusent de partout. Les raisons de ce changement d’habitude alimentaire varient, d’une personne à l’autre. Ndeye Fall la vingtaine, assise avec ses amies évoque celle de la perte de temps : « Au stade où nous en sommes, préparer le dîner tous les jours, est une véritable perte de temps. Time Is Money, dit-elle d’un air de triomphe. Le temps est quelque chose de précieux maintenant. On ne peut plus en perdre en respectant la préparation quotidienne des trois repas. Le déjeuner ne peut-être omis. Mais le dîner, n’est plus une obligation, » argue-t-elle sure d’elle. Beaucoup, de ces clientes trouvées dans ce fast-food, partagent l’avis de Ndeye. Pour elles, le dîner, on peut s’en passer.
Surprenant ! Des mariés, en couple ou seul, font leur entrée dans ce fast-food bondé. Mme Faty, soutien: « Ce n’est pas tous les jours, que je viens acheter le repas du dîner ici. Ce n’est que pendant le weekend, que le temps me permet d’assurer les trois plats traditionnels. Je travaille à temps plein, la plupart du temps, je descends à des heures indues. Ce qui fait que la préparation du dîner est quasi-impossible, » explique t-elle, l’air éhonté. Une dame, la quarantaine, avance le prétexte du manque de moyens : « Ce que je fais, je ne le fais pas par plaisir. Je n’achète pas la nourriture des fast-food par paresse de cuisiner. Il faut avouer que la vie est dure. Je suis obligée de mettre de coté une partie du déjeuner. Et, c’est cette partie qui fait office de dîner pour mes enfants et moi. C’est seulement s’il n’en reste pas que j’achète la nourriture des tanganas, à moindre prix. » La plupart ne reste pas souper dans le fast-food. Sandwish et fataya en main, ils se dirigent vers la sortie. Alassane, jeune marié fait partie du lot : « Je ne me souviens plus de la dernière fois que ma femme a fait un dîner maison. Tous les soirs, je me rabats sur le dîner qu’offrent les fast-food. Elle avance la thèse du manque de temps, de la modernité, en disant, « préparer un dîner, personne ne le fait maintenant ». Mais, confirme-t-il, un brin sourire, « nous savons tous que ce n’est rien d’autre que de la paresse. » Son ami l’interrompt. Pas du tout machiste, ce dernier avance : « Je ne suis pas de son avis. Parce que, les femmes passent la journée au travail, au même titre que nous. Elles nous reviennent fatiguées. Elles sont loin d’être des machines. Cela ne me pose aucun problème de ne pas manger un repas fait maison. D’autant plus qu’elle fait de son mieux pour assurer le déjeuner. » « Ta femme devrait-être contente de toi », lui lance Alassane, taquin.
Cette situation, nos mamans ont beaucoup de mal à la comprendre et à l’avaler, surtout pour les femmes mariées qui agissent de la sorte. Fatoumata, la cinquantaine s’en offusque : « Les jeunes sont venus avec leur manière de vivre et l’ont imposé. Je ne peux même pas décrire cela. Pour nous autres qu’on appelle mémé, c’est juste impensable qu’une femme mariée squatte les fast-food à la recherche d’un dîner. L’argent qu’elle dépense pour se payer ce dîner fast-food, peut très bien préparer un repas plus sain. Et puis, aucun repas n’existe de façon fortuite. Un repas, pris tous ensemble, en famille, est un excellent moyen de solidifier les liens familiaux, même si d’aucuns l’ignorent, » affirme- t-elle l’air incompris. Salimata d’approuver : « C’est même irrespectueux d’offrir un fataya ou un sandwish à son époux au dîner. Pendant toutes ces années où j’ai vécu avec mon défunt époux, cette idée ne m’a jamais traversé l’esprit. Une épouse digne de ce nom ne saurait se rabaisser de la sorte. Ces femmes aujourd’hui ont du cran. »
Ainsi donc, la préparation du dîner est encline à sortir de nos habitudes. Pourtant, les nutritionnistes ne cessent d’édifier les gens sur les conséquences d’une mauvaise alimentation, d’un déséquilibre alimentaire. L’excès traduisant une quantité trop importante de nourriture ou une mauvaise qualité des aliments consommés, souvent riches en lipides et glucides, produits gras et sucrés, boissons sucrées, entre autres, n’est pas sans risque.